mardi 22 janvier 2013

Harry, Prince des ténèbres

Le Prince Harry est le troisième dans l’ordre de succession au trône britannique.
Il fait également très certainement partie du top trois du classement des personnalités royales à faire la une des tabloïds outre-manche. Son gout douteux – pour ne pas dire naze – pour les costumes d’époque, on s’en souvient, a déclenché une certaine… fureur chez nos voisins.
Il s’est plus récemment ridiculisé lors d’une partie de strip billard à Las Vegas, en abandonnant cette fois pudeur et déguisement. Son amateurisme dans l’utilisation d’un matériel alors inapproprié avait été raillé par les Anglais, tout autant que le matériel lui-même, pourtant du plus simple appareil.
Relayé par des journaux cette fois beaucoup plus sérieux (entre autres, Le Monde du 22 janvier 2013), l’information a choqué nombre de sujets britanniques : Le Prince Harry reconnaît avoir tué des talibans en Afghanistan.
Affecté à un poste d’artilleur à bord d’un hélicoptère, le Prince aurait démontré une certaine adresse avec une mitrailleuse, version guerrière d’un autre Harry juché sur son balai lors d’une partie de quidditch (même si ce dernier était en réalité attrapeur).
J’avoue moi-même avoir été un court instant dérangé par la nouvelle. J’aurais pu laisser filer ce sentiment fugace, cette indicible sensation de gêne, mais je ne l’ai pas fait.
Pour quelle raison cette révélation a-t-elle produit chez les Anglais – et chez moi à une moindre échelle – cet émoi ?
Les faits sont extrêmement simples : un homme, en temps de guerre, en a tué d’autres. 

Certes, cette proposition est en elle-même choquante: qu’un homme en tue un autre, fut-ce en temps de guerre, devrait nous conduire à nous indigner à chaque fois.
Mais avouons-le, il y longtemps que ceci ne touche plus la majorité d’entre nous. C'est comme si un sort nous avait été jeté, par lequel l’homme ne peut désormais plus consacrer à un évènement qu’un unique quantum d’émotion, lequel est décroissant en fonction de la distance – géographie, temporelle, émotionnelle – qui nous sépare de cet évènement. Peu importe le nombre d'individus concernés par cet évènement. La mort d’une centaine de personnes, englouties par un glissement de terrain en Colombie, nous affectera certainement moins que le décès d’un petit garçon écrasé par une voiture dans notre propre quartier. C'est ainsi.

Je nommerais volontiers ce sort "coeurdepierrus!".
Dès lors, d’où vient cette gêne que suscitent en nous les révélations du Prince Harry ? S’il est admis que le choc ne peut raisonnablement venir des mots « guerre » ou « tué », c’est qu’il doit venir du mot « Prince ».
Un Prince meurtrier ? Choquant ? Après tout historiquement, il s’agissait bien de la fonction de la noblesse que de guerroyer. Pourtant aujourd’hui ce Prince, aussi raillé et décevant qu’il soit, véhicule un émoi certain par ses paroles.
La famille royale est un symbole. Elle incarne aux yeux des sujets britanniques une histoire, une nation, une gloire. Elle symbolise dans l’imaginaire collectif des valeurs merveilleuses que l’on conserve comme un joyau, comme un idéal désuet. Elle permet au peuple, et à chaque individu pris isolément, de se projeter en une sorte de perfection que l’on souhaite conserver immaculée.
Il est douloureux pour le commun des hommes d’admettre que cet idéal peut cependant être tâché de rouge, cicatrice lancinante qui nous renvoie à une réalité qui nous brûle : si ce Prince, héritier de la plus noble des traditions, gardien d’une pureté, peut receler en lui une parcelle de Voldemort, alors nous le pouvons tous.
Il est douloureux d’admettre que le meurtrier n’est pas forcément l’autre, mais qu’il peut se cacher dans qu’il y a de plus beau, comme en nous-mêmes.

Il est douloureux d’afficher à la lumière du jour le vampire qui sommeille au cœur de notre tombeau intérieur.

Rien n'est plus horrible que l'horreur lorsqu'elle porte le masque de la respectabilité. Je porte à l'appui de cette affirmation un autre article du même jour, qui se fait l'écho d'un soldat français au Mali, photographié portant sur le visage un foulard à la tête de mort.

L'outrance n'est alors ni dans la guerre, ni dans la mort. Elle est dans l'affichage, sans fard et à visage découvert, de cette réalité.

Celui dont on ne doit pas prononcer le nom est en nous. Mais sur notre front, nulle cicatrice pour nous le rappeler.
Et pourtant, Prince ou manant, la Bête est dans l’Homme !

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