mercredi 9 janvier 2013

Au fond de ma poche

Dans mes souvenirs d’enfance, mon père s’était un jour vu offrir un couteau suisse. Pour les plus jeunes de mes lecteurs, il peut être utile de préciser qu’il s’agit d’un objet qu’on pourrait comparer à un smartphone d’aujourd’hui : un monde de fonctionnalités, mais aucune véritable utilité.
Ce couteau lui avait été offert par une lointaine cousine, qui était venue nous rendre visite, depuis sa Suisse d’adoption.
Cette époque coïncide peu ou prou avec celle où je regardais, fasciné, Mac Gyver réaliser des exploits improbables avec la pince à épiler de son canif, sur un écran de télévision plus profond que large.
Ce couteau, mon père ne l’utilisait presque jamais, à l’exception de la petite paire de ciseaux qui lui permettait régulièrement de se couper les ongles.
Il le conservait pourtant précieusement dans son petit sac à main d’homme, en cuir de vachette, qu’il portait toujours au bout d’une dragonne qu’il avait pris soin de passer à son poignet.
Ce canif a longtemps exercé – et il suffit que je tape ces quelques lignes pour me rendre compte que c’est toujours le cas – une particulière fascination sur moi.
La multitude des possibilités qu’il recelait était pour moi le symbole de ce que devait être l’âge adulte. Parfois – avec l’autorisation de mon père – je l’empruntais et le regardais. Une lame, tranchante, qui me disait que l’adulte pouvait être fort, couper, se défendre ! Un tournevis pour réparer les choses ! Un décapsuleur pour boire une bière ! Des ciseaux pour…se couper les ongles des pieds ! Tant de pouvoirs dans un si petit objet.
Aujourd’hui, j’ai moi aussi un de ces canifs. Et moi non plus je ne m’en sers jamais. Et pourtant, je le garde et le chéris. Ce canif aujourd’hui me rappelle le petit garçon que j’ai été, et les rêves que j’ai eus. Il me rappelle mon père aussi qui, comme moi, devait avoir ce couteau, non pour être un adulte, mais pour rester un enfant.
Certains objets ont cette magie de véhiculer avec eux la force de l’adulte et le rêve de l’enfant. Ils nous permettent à leur façon de devenir des hommes, tout en restant des petits garçons.
Il peut s’agir d’un canif ou d’une montre. D’une voiture ou d’une collection de BD. Peut-être feront-ils soupirer d’incompréhension vos femmes ou vos mères. Mais ils feront briller dans les yeux de vos enfants et des vôtres, la lumière de l’enfance et les espoirs de l’homme.

2 commentaires:

  1. Cher Monsieur LE Barbe,

    J’ai eu beaucoup de plaisir à lire votre billet sur cet ustensile cher à beaucoup d’hommes (dont je suis) et qui – vous le dites si bien – a cette « magie de véhiculer la force de l’adulte et le rêve de l’enfant. »

    J’espère que vous me permettrez de réagir par un simple exemple, lui aussi bien personnel, suivi d’une ou deux réflexions sans autre prétention que celle de vous faire savoir que vos avis sont partagés.

    J’ai très tôt été attiré par ces fameux couteaux suisses. Bien avant McGyver que j’ai moi aussi suivi assidument dans ses exploits non-violents. (Vous avez raison de dire que ce canif revêt toutes les fonctions possibles et imaginables. Il est cependant tout sauf une arme.) J’ai, donc, fiévreusement attendu l’âge d’avoir droit à mon premier Victorinox. Celui-ci et d’autres Wenger m’ont enseigné une certaine adresse manuelle doublée d’une certaine prudence inculquée parfois par de belles blessures. Mon attachement ne s’est pas démenti depuis. Mais passons, car rien de symbolique jusque là – encore que.

    Mon souvenir à moi est le suivant. Je devais avoir tout juste vingt ans quand j’ai fait mon premier voyage en TGV du Nord au Sud de la France, seul. Rien de bien important, me direz vous, mais c’était l’indépendance pour moi. La solitude a la vertu d’ouvrir aux rencontres. Au cours de ce voyage en train, j’ai fait la connaissance d’un type sympa. Régis, un helvète qui avait terminé son service militaire la veille et qui profitait aussitôt de la quille pour partir faire un tour d’Europe. Au moment où nos chemins se séparaient, Régis (que je « connaissait » depuis deux au trois heures à peine) plongea sa main au fond de sa poche et me tendit en cadeau d’au revoir son couteau suisse. J’étais émerveillé. Il faut s’imaginer que c’était un modèle que je n’avais jamais vu en aluminium guilloché. Il s’agissait bien, cette fois-là, de l’authentique couteau militaire que l’armée suisse remet en dotation à ses soldats. Une fois seul, je l’ai touché et regardé des heures durant. Incroyable épisode dont je garantis sur mon honneur l’authenticité absolue.

    Ce couteau de l’armée suisse auquel je tenais tant, je l’ai à mon tour offert à un ami qui ne s’y attendait pas. L’a t’il chéri autant que moi ? L’a t’il offert lui aussi, provocant surprise, gratitude et ravissement ? A t’il lui aussi ressenti cette profonde satisfaction peut être liée au fait que ce que l’on donne, personne ne peut plus nous le reprendre? Je ne peux que le souhaiter.

    Plus tard, je me suis vu offrir un nouveau couteau suisse, très beau, qui m’accompagne depuis et auquel j’attache une valeur sentimentale toute particulière depuis pas loin d’une quinzaine d’années. Le prochain sera peut être pour mon fils.

    Pour finir – et sans vous interpeller le moins du monde – je me demande si c’est bien du canif suisse que vous parlez ici. Ce qui ne retire rien à sa force évocatrice. Plus je vous lis et plus je me demande si, du bout de vos doigts, au fond de votre poche, c’est le bel objet que vous caresser amoureusement. Ou bien, si l’histoire est encore plus jolie que ce que vous nous racontez.

    Votre fidèle lecteur,
    D.G.

    RépondreSupprimer
  2. Cher D.G.,
    Merci pour ce témoignage.
    Et pour tout le reste.
    Amicalement
    Le Barbe

    RépondreSupprimer